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Le Portail d’Outremonde - 7

lundi 29 janvier 2018, par Sylvie Pichon

Chapitre 7 : Samuel

J’ai tué un Shaïtan la nuit dernière !

Depuis plusieurs nuits, je patrouillais en ville, en particulier autour de la maison de Paulina. Sans grand succès, parce qu’elle passe une grande partie de ses soirées sur son portable.
Peu après minuit, j’ai croisé un groupe de trois Shaïtans qui semblaient se balader sans but précis. J’avoue que ça m’a fait un sacré choc ! J’avais beau les chercher, je crois que je n’étais pas prêt à les voir : entre les gravures et la réalité, il y a un gouffre ! Avec leurs ailes noires repliées dans le dos, leurs fines écailles moirées de vert et de bleu, leurs corps élancés, leurs oreilles pointues, leurs griffes acérées et leurs yeux de braise, ils sont à la fois terrifiants et beaux.
Je les ai suivis pendant plusieurs heures, aussi furtivement que possible. C’était étrange de les voir croiser des passants sans que ceux-ci les remarquent le moins du monde. Je me suis également étonné qu’ils soient en groupe alors qu’ils sont supposés être solitaires.

Vers 3h du matin, quand ils se sont enfin séparés, j’ai suivi celui qui m’a semblé le moins costaud jusqu’à une cour intérieure où il s’est engagé. Je me suis glissé derrière lui, silencieux comme une ombre, en sortant mon arbalète de ma sacoche d’une main fébrile. Je tremblais tellement qu’un carreau m’a échappé, est tombé avec un bruit sec, faisant sursauter le Shaïtan, qui s’est retourné brusquement. Sa surprise m’a permis d’attraper un deuxième carreau et de l’encocher dans mon arme. Mon entrainement a repris le dessus et d’un geste fluide, j’ai visé et tiré. Comme à chaque fois, le carreau a volé en sifflant et s’est planté en plein dans ma cible : le cou de mon adversaire. Une main posée sur sa blessure, autour du carreau, il m’a jeté un regard éperdu où se lisaient la surprise et la terreur. Il a ouvert ses ailes, dans une vaine tentative pour s’envoler, car l’air de la Terre n’est pas assez dense pour le porter… Un flot de sang doré s’est échappé de sa bouche, il s’est effondré sur le sol avant de s’évaporer dans le clair de lune.
Contrairement à ce que je m’imaginais, je me suis senti vraiment mal, affreusement coupable, pour tout dire, d’avoir annihilé cette créature étrange et belle. La bile m’est soudain remontée dans la gorge. Je me suis plié en deux et j’ai vomi.
En rentrant dans la nuit froide et humide, je ne cessai de m’interroger sur ce que j’avais fait. Pourquoi avais-je tué par surprise un être qui ne m’avait pas menacé et qui, jusqu’à preuve du contraire, n’avait commis aucun des méfaits que nous avons coutume d’attribuer aux démons ? Qui s’était montré cruel et avait assassiné sans raison, sinon moi, Samuel Barghest ?

Une fois à la maison, j’ai tapé et envoyé mon compte-rendu, comme le prévoit la procédure, en restant le plus neutre possible. Au matin, mes parents puis mes frères m’ont skypé pour me féliciter pour mon premier sang versé. Ils débordaient d’enthousiasme et de fierté envers mon exploit et prirent mon manque d’entrain pour de la modestie. Mon refus de recevoir des renforts a été accueilli avec soulagement : dans toutes les villes, les Sahirs sont débordés par le nombre et commencent à tomber lors d’escarmouches avec des groupes de Shaïtans. Contrairement à ce qu’affirment nos grimoires, ils ne sortent qu’en groupe et sont plus prudents, plus difficiles à atteindre que prévu. Sans doute ont-ils un nouveau chef, plus avisé. Ou sont-ils plus motivés pour s’implanter ?
Le silence qui est retombé sur l’appartement me perturbe. Je mets de la musique et j’appelle Nero pour qu’il me tienne compagnie tandis que j’essaie de me plonger dans un roman. Rien n’y fait : les yeux incandescents et angoissés de ma victime me hantent… Et, pour une raison inexplicable, ils se superposent à d’autres yeux topazes, brûlants, qui me toisent et me provoquent : ceux de l’enquiquineuse brune de ma classe : Ariana.
Une émotion que je ne sais pas définir me serre le cœur et je glisse dans le sommeil, caressé par un rayon de soleil matinal.

Note à moi-même : Que deviennent les Shaïtans quand ils meurent ? Où s’évaporent-ils ?

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