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Le Portail d’Outremonde - 12

vendredi 23 mars 2018, par Sylvie Pichon

Chapitre 12 : Ariana

En rentrant du lycée, au lieu de faire mes devoirs je m’attaque à la lecture des deux grimoires que Samuel m’a prêtés. Il semble finalement plus disposé que je ne m’y attendais à faire de moi une parfaite petite Sahir…

Je découvre leur histoire et leur point de vue, en particulier durant la précédente « invasion » des Shaïtans il y a cinq siècles et je comprends mieux pourquoi ils nous chassent avec autant d’acharnement. A cette époque, le comportement audacieux, irrespectueux et volontiers dangereux des Shaïtans, bien peu conforme à la morale chrétienne et à l’ordre social établi, était considéré comme maléfique. Surtout, ils laissent une trace indélébile sur les âmes qu’ils ont possédé, même après leur départ. Les hommes restent violents et sans scrupules et s’enrôlent volontiers dans l’armée ou la marine quand ils ne font pas le choix de devenir mercenaires ou bandits de grands chemins. La plupart abandonnent leurs familles sans remords, les laissant dans la misère et les Sahirs se font un devoir d’aider les épouses et les enfants livrés à eux-mêmes.
Mais le plus choquant semble être le comportement des femmes qu’on ne peut « guérir » de leur comportement rebelle et indépendant. Elles deviennent « lascives et dépravées ». Les jeunes filles les plus pures et les plus douces deviennent des « créatures dissimulatrices, menteuses, dépourvues de la pudeur et de la modestie naturelles à leur sexe » que l’on doit enfermer au couvent afin d’éviter qu’elles ne contaminent les autres. Les moins chanceuses ou les moins riches sont dénoncées comme sorcières, torturées et brûlées vives. J’en ai des frissons… Les Sahirs, souvent persécutés eux-mêmes ne peuvent guère les protéger, mais lorsqu’ils le peuvent (ou le veulent bien ? Ils ne choisissent pas les plus moches, je suis sûre…), ils les capturent, les épousent et leur font des enfants afin de « renouveler » leur sang. Certaines sont présentées comme des histoires d’amour, mais je devine que les jeunes filles n’ont guère eut le choix et je n’apprécie guère la précision qui suit : « On prendra bien soin de tuer le Shaïtan qui est en elle, sitôt qu’elle sera fécondée ».

Au fil des pages, les Shaïtans sont accusés de tous les maux, y compris d’avoir déclenché la St Barthélémy ! Comme si nous allions nous mêler d’une guerre de religion ! Sauf si les Sahirs étaient Protestants, bien-sûr, cela aurait été l’occasion idéale pour se débarrasser d’eux sans risque…
En tout cas, leur devise est claire : « Un bon Shaïtan est un Shaïtan mort » et le plus tôt est le mieux pour éviter que leur hôte humain ne soit trop ‘’imprégné ‘’. Cela explique le massacre des Shaïtans dans les grandes villes depuis notre arrivée, mais pas le manque d’efficacité de Samuel. Alors qu’il suit nos escadres depuis des semaines dans les rues de Nevers, il n’a jamais réattaqué. Est-ce notre supériorité numérique ? Cela expliquerait qu’il ait finalement accepté de me prendre en renfort malgré ses réticences. J’ai fait valoir à la Khaghän que ce serait une occasion unique de le tenir à l’œil. Elle n’a pas eu l’air très convaincue mais elle m’a donné sa bénédiction. Je parierais bien qu’elle a une autre idée en tête…

En descendant me chercher quelque chose à grignoter à la cuisine, je passe devant le salon où mes parents regardent un reportage dont les premiers mots m’arrêtent net devant la porte ouverte.
« Une épidémie d’amnésie temporaire frappe les grandes villes depuis quelques semaines, provoquant la perplexité des médecins. Elle touche surtout des individus jeunes, d’un QI et d’un milieu social supérieurs à la moyenne. Cette perte de mémoire, qui peut couvrir plusieurs mois, est liée à des troubles du comportement et à des changements de la personnalité. Les individus sont décrits comme plus audacieux, extravertis, sujets à des accès de colère, moins inhibés et empathiques mais également plus charismatiques. La cause de ces atteintes reste indéterminée. Les spécialistes soulignent que ses conséquences semblent relativement bénignes même si certains souvenirs précieux seront irrémédiablement perdus pour les victimes : la naissance d’un enfant, un mariage ou une lune de miel n’existeront pour elles qu’à travers les photos… »
A cette triste perspective, la voix du présentateur descend dans les graves et je sens le regard inquiet de mes parents sur moi.
-  « Et bien, ils auront moins de regrets quand ils divorceront ! » Je lance, pour détendre l’atmosphère.
De toute évidence, ce n’est pas la bonne réponse à leurs craintes…

Note1 : Acheter de la peinture bleu Mer du Nord et des rideaux en velours assortis pour ma chambre. Et du blanc pour les trois autres murs.
Note2 : Trouver une combi intégrale en vinyle souple, style Catwoman, pour mercredi.

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