Dimanche soir vers une heure, je retrouve comme convenu mon escadre à une rue de chez moi et vérifie d’un coup d’œil qu’ils ont bien retiré tout signe distinctif de leur uniforme. Nous filons tous les quatre chez Samuel et nous dissimulons sous le porche d’en face. Lorsqu’il sort, un peu plus tard, il n’a pas le temps de faire deux pas que Thomas lui coupe la route tandis que Mathis lui fond dessus et l’immobilise, les deux bras dans le dos. Lorsque Nero vole à son secours, Manon ouvre ses ailes et d’un de ces bonds prodigieux dont elle a le secret, elle le cueille à au moins trois mètres du sol avant de retomber souplement. L’oiseau se défend, s’agite et tente de lui donner des coups de bec mais Manon lui murmure quelques mots qui le calment instantanément sous le regard consterné de Samuel. Comment les Sahirs ont-ils pu oublier que nous étions autrefois les Maîtres des corbeaux et qu’ils étaient nos compagnons et nos messagers ? Aujourd’hui encore ils parlent notre langue…

Je m’avance d’un pas lent vers Samuel et, sous ses yeux écarquillés, je plante mes griffes dans mes paumes pour en faire jaillir le sang. Il y voit sans doute un signe funeste car il se remet à s’agiter dans les bras de Mathis dans une vaine tentative pour se libérer. Il pourrait aussi bien être prisonnier de chaînes d’acier.
  « Attention à tes pieds ! » Je préviens Mathis, anticipant la prochaine manœuvre de Samuel.
Celui-ci se contente de le soulever très légèrement du sol, pour le neutraliser, resserrant encore son étreinte.
Arrivée à un pas de lui, je regarde Samuel dans les yeux et, stupidement, celui-ci me rend mon regard. Nul doute, pourtant, qu’on a dû lui répéter cent fois, durant son entraînement, que c’était une erreur à ne surtout pas commettre. Je vois son corps se détendre presque aussitôt. Il est désormais en mon pouvoir et tout ce qui lui arrivera à partir de cet instant lui semblera n’avoir été qu’un rêve.

Je déploie mes ailes et nous enveloppe avec (ne serait-ce que pour empêcher Manon ou Thomas d’intervenir), puis je le mords à la base du cou, le faisant sursauter. Je bois une gorgée de son sang et applique ma main blessée sur la morsure qui grésille et fume légèrement, lui arrachant une nouvelle grimace. Enfin, je pose délicatement ma main sanglante sur sa joue, comme une caresse et vois apparaître en lignes flamboyantes le symbole de protection des Shaïtans. Désormais, plus personne, en dehors de moi, n’aura le droit de le toucher. Je ferme ses yeux du bout des doigts. Il s’effondre dans les bras de Mathis et nous le remontons dans son appartement. Manon est toujours en train de gratouiller Nero dans le cou pour son plus grand plaisir : s’il savait le faire, il ronronnerait !

Nous couchons Samuel et je le borde soigneusement pendant que Manon entrouvre la fenêtre et charge Nero de le surveiller et de nous prévenir en cas de problème. Le rite de Revendication a parfois des effets indésirables. Je remonte les radiateurs au maximum, qu’il n’attrape pas froid, dépose un verre d’eau à son chevet et nous quittons l’appartement en silence.
Arrivés dehors, Manon et les jumeaux me tombent dessus, furieux.
  « Ce n’est pas du tout ce qui était prévu avec la Khaghän, tu devais uniquement le marquer ! »
  « Ça c’est mon problème ! Laissez-moi régler ça avec elle. »
  « Peut-être, mais tu es complètement inconsciente de l’avoir Revendiqué. », renchérit Manon, véhémente. « Imagine que lui ne te choisisse jamais ! Tu seras condamnée à retourner dans l’Outremonde. Plus aucun humain ne te sera accessible ! »
  « Tu devrais savoir que j’aime les défis. Et de toute façon, il est déjà amoureux de moi. » Je réponds avec plus d’assurance que je n’en ressens vraiment.
Pour être honnête, avec le recul, je me demande si j’ai bien fait de prendre un tel risque… Mais je me sens tellement euphorique et invincible quand je retrouve mon corps de Shaïtan ! Ou bien serait-ce autre chose ?

Note1 : Rendre visite à Samuel demain sous prétexte de lui apporter les cours et vérifier qu’il va bien.
Note2 : Passer chez la Khaghän quand elle sera absente et prendre une poignée d’herbes médicinales pour le remettre sur pieds.

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