search

Accueil > CDI > Feuilleton > Le Portail d’Outremonde - 19

Le Portail d’Outremonde - 19

vendredi 22 juin 2018, par Sylvie Pichon

Chapitre 19 : Samuel

La fin du séjour de ma famille est un cauchemar. Je vais de plus en plus mal, je ne dors plus, je suis en colère, trahi, le cœur broyé, vexé d’avoir été ainsi mené en bateau… Je ne supporte plus ni les commentaires déplacés de mes frères, ni les encouragements incessants de ma mère à me réconcilier avec « ma charmante petite amie » :
-  « Enfin, Sammy, tu ne perdras rien à essayer ! Ce serait trop bête de laisser son sang Sahir être gâché et dilué en épousant n’importe qui ! »
La Pauvre ! Si elle savait ! Ma joue me brûle chaque fois qu’on parle d’Ariana. Dieu merci, tout le monde part deux jours plus tôt que prévu pour « me laisser le temps de régler le problème ». Je respire enfin un peu mais je ne sais pas quoi faire et me tourmente sans cesse. Est-ce que je devrais la garder sous clé jusqu’à ce que le démon la quitte ? Je doute d’être capable de séquestrer une Baçkan plusieurs mois. Et que faire de ses amis Shaïtans ? Je n’ai pas été capable de les dénoncer aux miens et je m’en veux, mais la trahison n’est pas mon style. Je passe en revue toutes mes options, les rejette, tourne en rond et me désespère.

Mon problème est résolu quand je trouve Ariana et sa clique installés confortablement dans mon salon le lendemain matin.
- « Qu’est-ce que vous faites là ? » J’explose. « Comment vous êtes entrés ? »
- « Les sorts d’ouverture ne sont pas pour les chiens. » Rétorque Ariana d’un air indifférent. « Nous sommes venus pour discuter, assieds-toi ! » Elle me regarde droit dans les yeux et je me retrouve assis sans savoir comment.

- « Qu’est-ce que vous avez l’intention de me faire ? » Je lui demande d’un ton sec.
- « Rien ! Tu vas juste m’écouter et ensuite tu décideras ce que tu veux faire. Personne ne te touchera, tu as ma parole. »
Les autres s’agitent et se regardent entre eux, manifestement surpris.
-  « Il est et restera sous ma protection, quel que soit son choix ! »

Je sens l’autorité et le pouvoir dans sa voix. Après tout elle est la Baçkan, la Beta du clan, l’Héritière. Elle envoie Manon nous préparer des cafés et me prévient que cela va durer un peu. De toute façon, je ne peux pas bouger de mon fauteuil, j’ai l’impression d’y être collé.

-  « Comment fais-tu cela ? J’ai l’impression d’être ta marionnette ! » Je gronde.
-  « N’oublie pas que tu as du sang Shaïtan, il est soumis à mon autorité, c’est très difficile pour toi de ne pas obéir. »
Cette réponse soulève toutes sortes de questions quant à notre capacité à faire la guerre aux démons mais Ariana me sourit et comme d’habitude m’éblouit, chassant de mon esprit toute pensée qui n’est pas elle.
-  « Maintenant, je vais te raconter la véritable histoire des Shaïtans. Elle me vient de mon arrière-grand-mère qui était toute jeune lorsque ces événements se sont produits, il y a plusieurs milliers d’années. Tu vas voir qu’elle est assez différente de votre version des faits. »
Elle se penche en avant et prend mes mains dans les siennes. Des images m’apparaissent par flashes au fur et à mesure qu’elle déroule son récit.

-  « Tu dois savoir que depuis toujours mon clan est en guerre contre le clan dirigeant dont les membres sont plus nombreux et plus cruels que les nôtres. Une guerre que nous n’avons jamais gagnée durablement et dont nous payons très cher le prix depuis des millénaires. Aussi lorsque nous en avons trouvé le moyen, la majorité d’entre nous a fuit Gerle Ad pour un exil doré sur Terre. Nous avons longuement cohabité en paix avec ses habitants mais lorsque les humains ont perdu leurs pouvoirs, nos ennemis ont réussi à s’introduire ici pour nous traquer, vous réduire en esclavage et vous tuer par jeu. La Khaghän de l’époque, aidée de nos sages, a décidé que cela ne pouvait durer et a donné aux Sahirs une formule magique pour bannir tous les Shaïtans de la Terre. Certains ont choisis de rester dans des corps humains et ont renoncé à leurs pouvoirs et leur immortalité. Ceux qui sont rentrés et n’ont pas été massacrés sont entrés en résistance dans des conditions très difficiles. Leur seul espoir d’une vie meilleure réside dans l’ouverture cyclique du portail qui permet à un nombre limité des membres de mon clan de revenir sur Terre et de se mêler aux humains. Mais avec les années, les Sahirs ont oublié qui étaient leurs vrais ancêtres et en sont venus à tous nous considérer comme des ennemis, nous éliminant avant que le sort d’exil ne soit complet. Certes, nous sommes des démons, dépourvus de cœur au sens humain du terme, mais nous ne voulons aucun mal aux hommes. Nos sangs se sont mêlés, nous avons cohabité en paix pendant plus de 2000 ans… Même sans leurs anciens pouvoirs, les humains n’ont rien à craindre de nous. Nous sommes tellement peu nombreux désormais, de toute façon ! »
Elle lâche mes mains et s’enfonce dans le canapé, l’air farouche, tandis que les informations et les images qu’elle m’a livrées tournent dans ma tête.

-  « Tu as le choix » reprend-elle brusquement. « Nous allons nous transformer devant toi et tu pourras nous tuer si tu penses que c’est ce que tu dois faire. »
Elle se lève souplement, décroche les deux katanas du mur et mes les tend. D’un geste impérieux elle ordonne à son escadre de se transformer et le temps d’un clignement d’yeux stupéfait, elle m’apparaît sous son apparence Shaïtan.
Elle avance vers moi en ouvrant grand les bras, s’offrant à mes épées et, bien qu’elle me regarde droit dans les yeux, je sens qu’elle n’utilise pas son pouvoir contre moi. Ses sublimes yeux dorés… Dix-huit ans d’endoctrinement ne peuvent rien contre ces yeux-là : je suis incapable de lui faire du mal. Elle me fait peur. C’est un monstre. Mais un monstre que j’aime.

Sa main gauche se pose sur ma joue et la droite sur son cœur où se met à briller la marque jumelle de la mienne. Elle m’a marqué et s’est marquée également.
Après cinq minutes d’une tension insupportable, elle reprend sa forme humaine et son escadre fait de même.
-  « Maintenant, tu vas devoir choisir ton camp. » Dit-elle calmement en se dirigeant vers la porte, suivie par ses amis.
J’entends la porte d’entrée se refermer, les pas dans l’escalier en bois, puis dans la cours. Nero qui les salue d’un croassement. Puis plus rien. Pourquoi ne suis-je pas un corbeau ? Tout serait tellement plus simple !

Note à moi-même : après de longues recherches, j’ai découvert qu’une marque équivaut à un mariage chez les Shaïtans. Si je ne la revendique pas à mon tour, elle retournera dans l’Outremonde et ne pourra plus jamais revenir.
Note à moi-même : Suis-je prêt à renoncer à Ariana par devoir ? D’un autre côté, suis-je capable d’accepter et d’aimer une Shaïtan, notre ennemie de toujours ?

Suivez-nous sur Wattpad :