« Salut ! Commença Cassiopée d’un air innocent. Vous avez des nouvelles de Samuel ? »
Les deux jeunes Sahirs se tournèrent vers les filles, embarrassés.
  « Non, non, rien ne bouge… Tout a l’air normal pour l’instant… C’est sans doute bon signe… » Bafouilla l’un d’eux en rougissant.
Cassiopée poursuivit la conversation avec le garçon, minaudant et le flattant pour détourner son attention d’Eloïse qui plongeait son regard doré dans les yeux de son camarade, l’hypnotisait et le convainquait à voix basse qu’il ne se passait rien. Elle prit ensuit l’interlocuteur de Cassiopée par les épaules et le réduisit au silence de la même façon.
  « Voilà, quand ils se réveilleront, ils seront incapables de dire ce qui s’est passé ! Maintenant, Cass, à toi de jouer avec le Balrog ! »
Son amie sortit sa flûte de la poche de sa veste et se mit à jouer un air doux et lancinant. Le Balrog, qui les surveillait depuis l’autre côté du Portail, sembla perdre de son éclat rougeoyant, comme si le feu qui l’animait s’éteignait peu à peu. Ses yeux se fermèrent, son fouet retomba mollement sur le sol et il se mit à osciller doucement. Eloïse récupéra les deux paquetages cachés près de l’entrée de la caverne et aida Cassiopée à enfiler les bretelles de son sac, pendant qu’elle continuait à jouer, puis elle passa prudemment un pied par le Portail. Celui-ci se mit à crépiter et à lancer des étincelles bleues.
  « Ça va ? » S’inquiéta Cassiopée.
  « Oui, en fait on ne sent presque rien… C’est un peu froid et résistant, comme de mettre un pied dans l’eau. Remets-toi à jouer, ste-plaît, je voudrais pas que le bestiau se réveille, là… »
Elle continua son infiltration dans l’Outremonde avec circonspection puis disparut de l’autre côté dans un grand flamboiement de lumière bleue. Cassiopée et Nero la suivirent aussitôt et traversèrent la frontière derrière leur amie. Le Balrog continuait son léger mouvement oscillatoire, sans paraître remarquer leur présence, toujours sous l’influence de la flûte. Le monde autour d’eux était rocailleux, aride, et le soleil pâle diffusait une lumière froide et bleue.
Reportant son attention sur Eloïse, Cass poussa un cri et trébucha de surprise.
  Mais... mais… Elo, t’as vu ta tête ?
  Et toi ? Tu t’es vue ? Rétorqua Eloïse en pivotant vers elle. La vache ! j’avais jamais vu de Shaïtan en vrai ! T’es trop classe avec tes ailes, tes griffes et tes yeux qui brillent !
Attirée par un mouvement, Cassiopée tourna la tête vers le ¨Portail et sa bouche s’ouvrit sur un cri étranglé, tandis que Nero lançait un croassement d’avertissement.
Eloïse n’eut pas le temps de réagir. Un violent coup à la jambe accompagné d’un éclair rougeâtre l’envoya voler dix mètres plus loin. Elle rebondit contre un rocher puis retomba lourdement sur le sol pierreux en gémissant. Cassiopée se précipita vers elle et entreprit de la tirer hors de portée du Balrog. L’énorme démon, qui brillait à nouveau de tous ses feux avançait vers elles, le fouet levé, prêt à infliger un nouveau coup.
  Banzaïïïï !
Courant comme un dément, le katana levé, Alric se jeta dans les pattes du Balrog, visa la poitrine, puis déséquilibré dans sa course, lui trancha violemment les orteils en tentant d’utiliser son épée comme béquille. Le démon, surpris, s’attrapa la patte gauche en hurlant de douleur, son sang noir coulant à flots.
  Reprend ta flûte ! Ordonna Alric à Cassiopée pendant qu’il ramassait Eloïse et partait tant bien que mal en courant, la jeune fille dans les bras.
  Et sauve-toi ! Il ne pourra pas nous suivre au-delà d’une cinquantaine de mètres !
  Hein ? quoi ?
  Il est lié au Portail, il ne peut pas s’en éloigner ! Expliqua–t-il, pantelant, tout en poursuivant sa course maladroite avant de laisser tomber Eloïse, sur le sol rocheux. Il se plia en deux, les mains sur les cuisses, hors d’haleine, surveillant le Balrog qui semblait tirer de toutes ses forces sur une laisse invisible et traçait des lignes noires et fumantes du bout de son fouet sans parvenir à les atteindre.
Cassiopée ressortit sa flûte de sa ceinture et se mit à jouer sa mélodie, les doigts tremblants, replongeant en quelques secondes le Balrog dans sa transe.

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