search

Accueil > CDI > Feuilleton > Les Oeufs du Destin - 8

Les Oeufs du Destin - 8

vendredi 15 février 2019, par Sylvie Pichon

Chapitre 8 : Bec & poil

Au cours de la nuit, Cassiopée se réveilla brusquement. Accaparée par de sombres pensées et encombrée par ses ailes, elle tourna et retourna dans son sac de couchage, sans parvenir à se rendormir. Ne voulant pas réveiller les autres, elle décida de faire un tour dans la ville. A la lumière des trois lunes, les ruines semblaient sinistres, hantées. Les rues étaient encombrées par des pans entiers de bâtiments effondrés, des piliers brisés et les pavés étaient parcourus de lézardes profondes. Les éclairs verdâtres qui striaient la nuit et allongeaient les ombres portées rendaient l’ambiance encore plus lugubre.
Il lui sembla soudain apercevoir un mouvement au bout d’une ruelle : s’agissait-il d’une sorte d’animal ? Piquée par la curiosité, elle se mit à suivre la créature, qui devait avoir la taille d’un petit chien, espérant avoir la chance de la voir d’un peu plus près. Elle se prit au jeu, escaladant les pierres tombées au sol, sillonnant les ruelles, sautant par-dessus les lézardes qui éventraient le sol. Elle se mit à courir pour se rapprocher de l’objet de sa traque mais il ouvrit les ailes et accéléra encore pour lui échapper. Soudain, le sol se déroba sous ses pieds et elle hurla de surprise et de peur. Elle atterrit brutalement au fond d’une sorte de puits étroit qui s’élargissait vers le fond et, lorsqu’elle leva la tête vers la surface, elle vit une trappe se refermer brutalement sur l’orifice de sortie, bouchant toute lumière. Une angoisse terrible lui étreignit la gorge. Elle était prisonnière !

Cassiopée, frénétique, essaya de grimper à la paroi, mais aussi acérées soient-elles, ses griffes n’accrochaient pas à la pierre lisse et dure comme du marbre qui la constituait. Elle s’essaya ensuite au vol, toujours dans le noir le plus complet, mais elle ne put que décoller et s’aperçut vite que la partie supérieure du puits était trop étroite pour lui permettre d’y déployer ses ailes. Des larmes de désespoir commençaient à couler sur ses joues lorsqu’elle entendit gratter sur le couvercle, loin au-dessus de sa tête. Elle se mit à appeler à l’aide, espérant qu’il s’agissait de ses amis. Mais seuls des sortes de croassements aigus lui répondirent. Elle supposa qu’il s’agissait de la créature qu’elle avait poursuivie et s’efforça de communiquer avec elle, espérant qu’elle la comprendrait. Elle tenta la langue shaïtan, mais au bout d’un quart d’heure d’échanges frustrants, elle cessa d’entendre la bestiole et en conclut qu’elle était désormais livrée seule à son sort, condamnée à pourrir dans son trou pour l’éternité.

Alric rêvait qu’il effectuait de fabuleux loopings qui impressionnaient énormément Eloïse, au point qu’elle s’apprêtait à lui donner un baiser. Il approchait ses lèvres des siennes lorsqu’un grattement sur sa joue le ramena à la dure réalité. Ouvrant brusquement les yeux dans la pénombre, il tomba nez à nez avec une petite tête triangulaire terminée par un bec de rapace, aux yeux verts brillants et dont les deux cornes acérées se révélèrent, après examen, être des plumes noires. Alric, qui s’intéressait aux créatures de Gerle Ad, conclut qu’il s’agissait d’un mini Griffon Bleu de compagnie. Il était en train de s’émerveiller lorsqu’il réalisa que l’animal s’efforçait d’attirer son attention. Il tapota le sac de couchage d’Eloïse pour la réveiller, puis celui de Cassiopée dont il s’aperçut avec inquiétude qu’il était vide. A moitié réveillée, Eloïse grogna pour protester, mais Alric, insistait.
-  « Réveille-toi, Cas a disparu ! »
-  « Mais non… Elle doit être allée aux toilettes ! »
-  « Je ne crois pas, le griffon, là, à l’air de vouloir nous prévenir de quelque chose. »
-  « Quel griffon ? Répondit-elle, agacée, avant de se tourner vers l’animal qui poussait de petits cris. Oh ! Un griffon ! Qu’il est mignon ! »
L’animal, mince et élancé, pourvu d’un corps poilus et d’une longue queue en fouet, avait des serres de rapace, de longues ailes et d’épaisses plumes bleues sur le train avant. Seuls le poitrail et le bas du long museau, terminé par un bec d’aigle, étaient blancs. Bien que de petite taille, le griffon était élégant et racé, certainement le familier d’un haut dignitaire shaïtan. De toute évidence, Alric avait raison et tout dans le comportement de l’animal indiquait qu’il essayait de communiquer avec eux et de les entraîner avec lui. Nero, réveillé, confirma d’un croassement urgent et inquiet que Cassiopée, quelque part, avait besoin de leur aide.
-  « Levons le camp tout de suite, décida Eloïse, et suivons-le… En espérant qu’il ne s’agisse pas d’un piège… »
-  « Je ne pense pas, remarqua Alric, les griffons étaient les compagnons des Shaïtans et ils sont réputés pour leur fidélité à leurs maîtres. »
-  « Dépêchons-nous, alors, Cas est sans doute en mauvaise posture… »
Les deux amis cachèrent leurs affaires derrière un mur effondré puis partirent en hâte, n’emportant que le strict minimum pour ne pas s’encombrer inutilement.
Le griffon prit son envol, suivi par Nero et les deux Shaïtans qui peinaient à ne pas les perdre dans les rues encombrées de gravats, d’autant qu’Eloïse boitait encore un peu. Ils allaient déboucher au bout d’une ruelle qui s’ouvrait sur une vaste place rectangulaire quand le griffon et Nero firent brusquement demi-tour et se jetèrent sur eux pour les arrêter. Alric et Eloïse ouvrirent de grands yeux en apercevant du mouvement sur la place et plongèrent derrière les vestiges d’un mur pour observer ce qu’il se passait.

Un groupe de Rhaïms dont les yeux rouges caractéristiques luisaient dans la pénombre étaient penchés sur une ouverture dans le sol dont ils semblaient remonter quelque chose. Alric eut un hoquet de surprise consternée et Eloïse se mit la main sur la bouche pour retenir un cri d’horreur : Cassiopée, visiblement sonnée et affublée de chaînes était traînée hors du trou. Elle ouvrit la bouche, sans doute pour appeler à l’aide, mais le plus massif des Rhaïms lui lança son énorme poing dans le visage puis dans le ventre. Pliée en deux, elle ne réagit pas lorsqu’il lui ordonna d’une voix rauque de se tenir tranquille, avant de lui asséner un dernier coup dans le dos qui la fit se recroqueviller sur le sol. N’y tenant plus, Alric allait se précipiter à son secours mais Eloïse l’attrapa fermement par la taille pour le retenir : il tourna vers elle un regard affolé mais elle lui fit signe de se taire et de rester cacher.
-  « C’est de la folie ! Ne bouge pas ! » Articula-t-elle contre son oreille. Et ce fut plus fort que lui, malgré la situation désastreuse, il fut parcouru d’un long frisson de plaisir.
Baissant la tête, il remarqua que leurs deux compagnons à plumes le retenaient chacun par un pan de son pantalon, visiblement d’accord avec son amie. De l’autre côté de la place, les Rhaïms s’envolèrent, deux d’entre eux traînant Cassiopée inconsciente, chacun sous un bras, sans effort apparent. En quelques secondes ils s’éloignèrent et disparurent en direction de l’Est, à la lueur blafarde des trois lunes de Gerle Ad.

Suivez-nous sur Wattpad :