« Bon, si j’en crois les documentaires animaliers, il y a plusieurs techniques pour décoller : en sautant d’un point élevé, comme Cass, mais ça, on va oublier parce que tu ne pourras pas grimper ; en courant sur quelques mètres… Ok, ça non plus… ou en battant fortement des ailes, mais tous les oiseaux n’y arrivent pas… Alors espérons que nous si, parce que c’est notre dernière option. » Enuméra Alric.
  « Ok, mais c’est toi qui commence, exigea Eloïse. Je veux voir ça ! Ça me permettra d’oublier que j’ai mal… »
Alric lui jeta un regard en coin mais partit en courant et en battant gauchement des ailes, soulevant des tourbillons de poussière qui le firent tousser. Il bondit avec espoir et retomba presque aussitôt, déconfit. Cassiopée, au–dessus de leurs têtes, était pliée de rire mais Eloïse se releva en grimaçant et tenta à son tour de s’envoler sur place en battant prudemment des ailes. Voyant qu’elle ne souffrait pas, elle passa à la vitesse supérieure. A sa grande surprise, ses pieds décollèrent du sol et elle prit de la hauteur.
  « Ça marche ! S’exclama-t-elle, stupéfaite. Regardez, je vole ! »
  « Super Elo ! Allez ! c’est à toi Alric ! Tu peux le faire ! »
  « Vous voyez bien que je n’y arrive pas, gémit-il. Je peux vous suivre en courant ? »
  « Pas question, toi aussi, tu sais forcément voler ! Tu es un Shaïtan ! Tu pourrais essayer de prendre ton élan sur ce gros rocher en pente : il est assez plat pour courir… »
Alric suivit le conseil d’Eloïse, utilisa le rocher comme rampe de lancement… et s’envola dans un grand cri triomphal.
  « Ah, au fait, maintenant qu’on sait voler, on va dans quelle direction ? Il faut qu’on se trouve un abri pour la nuit. »
  « La carte est dans mon sac, tu peux l’attraper ? »
Alric s’approcha tant bien que mal du dos de Cassiopée et se prit ses ailes dans la figure. Perdant le peu de contrôle qu’il avait de sa trajectoire, il partit en vrille vers un des nombreux groupes de rochers qui parsemaient la plaine. Il évita la collision de justesse et retomba brutalement sur le sol en agitant les jambes. Son amie atterrit souplement à côté de lui avec un soupir et lui tourna le dos pour qu’il fouille dans le sac. Ils choisirent une ville relativement proche, abandonnée seize ans plus tôt par les Shaïtans et décidèrent de la survoler discrètement pour vérifier que les Rhaïms ne l’avaient pas investie.
Dans la nuit sombre, uniquement éclairée sporadiquement par de lointains éclairs verdâtres, la ville délabrée dont les bâtiments tombaient en ruine était sinistre. Mais ils furent soulagés de voir qu’elle ne semblait hantée par aucune créature vivante. Après plusieurs survols, ils jetèrent leur dévolu sur une grande villa à peu près debout et dont le toit paraissait encore relativement solide. Ils atterrirent et poussèrent une immense porte en métal sculpté qui grinça sur ses gonds et s’ouvrit sur un grand hall poussiéreux et vide. La lumière de leurs torches fit apparaître des fresques suintant d’humidité dont les paysages terrestres délavés et fantasmés ajoutaient au sentiment de désolation du lieu. Seule une fontaine qui gargouillait encore apportait un peu de vie.
  « Bonne pioche ! S’exclama Alric, feignant un enthousiasme qu’il était loin de ressentir. On va pouvoir boire et se laver ! »
  « Tu crois qu’elle est potable ? S’interrogea Eloïse, dubitative. »
  « Probablement, et je te rappelle que nous sommes des démons, donc logiquement on ne craint rien. On peut toujours la faire bouillir, si vous préférez, dans tous les cas on a besoin d’eau pour nos nouilles déshydratées… »
Les trois jeunes gens s’installèrent le plus confortablement possible et partagèrent un repas frugal autour du réchaud à gaz. Ils discutèrent un bon moment de leurs options dans le noir, pour économiser les piles des torches puis décidèrent qu’ils feraient mieux de dormir. Eloïse souffrait encore et tous étaient épuisés de leur journée, les muscles du dos raides et douloureux d’avoir volé pour la première fois.

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