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Le Portail d’Outremonde - 18

jeudi 31 mai 2018, par Sylvie Pichon

Chapitre 18 : Ariana

Je sais que ce n’est pas raisonnable, mais je n’arrive pas à décolérer. Chaque fois que je repense au massacre dont j’ai été témoin, à ces Shaïtans exécutés sans pitié alors qu’ils se défendaient à peine, je sens la fureur s’emparer de moi. C’est injuste, car j’ai bien conscience que Samuel était aussi horrifié que moi, mais rien n’y fait. Malgré les ordres de la Khaghän, j’ai eu toutes les peines du monde à ne pas me transformer pour voler à leur secours et je ressens ce qui, je suppose, ressemble à de la culpabilité. Cette propension nouvelle à ressentir des émotions humaines m’inquiète. J’ai le sentiment que l’Ariana d’origine déteint chaque jour davantage sur moi. Pour l’instant, je vais éviter de répondre aux messages de plus en plus désespérés de Samuel. Je ne suis pas encore assez calme pour lui parler raisonnablement et donner une explication cohérente à mon départ précipité. Même si je sais bien que je n’ai pas le choix et qu’il faudra bien que je me décide à le revoir et lui pardonner. Tant pis ! Pour le moment il peut encore attendre, il n’en sera que plus amoureux !

En ce qui concerne les escadres sacrifiées par la Khaghän, ma décision est prise. Je vais les protéger et je ferai face aux conséquences possibles et à la colère de ma mère. De toute façon, elle refuse d’aborder la question avec moi et elle ne revient jamais sur ses décisions. Lorsque je les préviens que nous serons d’astreinte chaque soir jusqu’au départ de la famille de Samuel, je les vois se crisper.
-  « La Khaghän a été plus que claire à ce sujet, Ariana. Nous n’avons pas le droit de nous transformer et de nous montrer tant que les Barghest sont là. »
-  « Je le sais très bien Manon, merci. Mais je refuse de laisser les nôtres se faire massacrer comme ça. »
-  « Nous n’avons pas le droit de nous battre. » Fait prudemment remarquer Mathis.
-  « Nous n’en aurons pas besoin, nous sommes assez nombreux pour les faire renoncer au combat. »
-  « Tu as conscience que ça peut très mal tourner ? » Demande Manon, les yeux plissés de contrariété.
-  « Et toi ? Tu as conscience que je suis ta Baçkan ? » Je lui réponds d’un ton sec.
Elle ne répond pas et se contente de frapper son poing droit contre sa poitrine puis de tendre la main devant elle en signe d’obéissance et de loyauté. Les jumeaux font de même, la discussion est close.

Nous n’avons pas très longtemps à attendre : dès le troisième jour, lors de notre patrouille, nous volons au secours d’une escadre de quatre Shaïtans aux prises avec les sept Barghest. Bien qu’ils respectent les ordres de la Khaghän en se contentant de se défendre, les démons ne sont pas encore en trop mauvaise posture, nous sommes arrivés à temps. Les ailes ouvertes, nous bondissons tous les quatre au cœur de la mêlée, chacun devant un des membres masculins de la famille Barghest. Je remarque que Samuel est à l’écart, visiblement chargé de protéger sa mère. Il y a quelques secondes de flottement jusqu’à ce que son père ne s’exclame avec une surprise mêlée de stupéfaction :
-  « Retirez-vous, c’est une Baçkan, la seconde de la Khaghän, elle est trop puissante, et ils sont trop nombreux pour nous ! »
Les Sahirs s’écartent prudemment. Réalisent-ils qu’il ne nous faudrait que quelques secondes pour leur trancher la gorge à tous ? Je vois soudain les yeux de Samuel se figer sur moi. Il devient blême, les yeux agrandis par l’horreur et la surprise. Je lis mon prénom sur ses lèvres juste au moment où sa mère l’attrape par le bras et l’entraîne à la suite des autres qui s’enfuient déjà en courant. Il se retourne vers moi juste avant de tourner au coin de la rue et je lis colère et déception dans son regard. Je sens mon cœur tomber comme une pierre dans ma poitrine. Certes, je connaissais le risque, mais j’étais loin d’imaginer ce que j’éprouverais à ce moment-là !

Dans un retournement de situation qui me ferait ricaner si j’étais d’humeur, c’est à mon tour de laisser des messages pathétiques sur le répondeur de Samuel. Je suis totalement désemparée, à la fois parce que je ne sais que faire pour me faire pardonner (mes mensonges ? ma nature Shaïtan ?) et que je suis assaillie par des sentiments inconnus et contradictoires. Alyssa que je consulte en tant « qu’experte humaine », pense que j’ai du chagrin et que je suis blessée dans mon orgueil. Elle semble trouver ça tout naturel, contrairement à mon escadre, qui ne comprend pas que je ne sois pas simplement inquiète. Par contre, elle n’a aucune solution miracle à me proposer, d’autant qu’elle ne connaît pas la vraie cause de notre rupture…
Finalement, fatiguée de me voir soupirer, ruminer et tapoter en vain sur mon smartphone, Manon me propose d’un air vaguement réticent la solution à laquelle les garçons et elle sont arrivés :
-  « Nous irons voir Samuel ensemble dès que les Barghest seront partis : tu lui feras entendre raison ou nous le tuerons afin de te libérer et te permettre de séduire un autre humain. »
Voilà qui a le mérite d’être simple !
-  « Sous quelle forme vous avez prévu d’y aller ? » Je marmonne, pas convaincue mais curieuse.
-  « Shaïtan ! » S’exclame Thomas, comme si c’était l’évidence.
Manon lui jette un regard agacé.
-  « N’importe quoi ! Humain, bien sûr… Il faut quand même leur laisser une chance de se réconcilier »
-  « Il sera toujours temps de nous transformer pour lui régler son compte ! » Conclut Mathis en ricanant.
Et je comprends pour la première fois l’expression « mon sang se glace »…

Note 1 : Faire la liste des arguments susceptibles de convaincre Samuel.
Note 2 : Faire la liste des prétendants de remplacement possibles, au cas où…

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