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Les Oeufs du destion - 10

vendredi 12 avril 2019, par Sylvie Pichon

Chapitre 10 : Ombre & larmes

Au bout d’un kilomètre, Alric autorisa enfin Eloïse à s’arrêter. Elle en avait manifestement bien besoin et s’effondra sur le sol rocailleux en poussant un gémissement de douleur et d’épuisement mêlés.
-  « Alric… » commença Eloïse avec douceur et le visage du jeune homme s’éclaira d’un sourire plein d’espoir.
-  « Oui, je sais, Elo… Je serai toujours là pour toi… »
-  « Non mais t’es pas un peu fou ! explosa-t-elle. Tu as failli me découper en rondelles avec l’autre monstre ! »
-  « Tu oublies un peu vite que c’est grâce à moi si tu es là et je te signale que j’ai fait très attention à ne rien te trancher, sinon, je serais allé beaucoup plus vite ! Maintenant, tu vas me donner ton bras et ta jambe que je te soigne avant que la gangrène nous oblige à les couper. » Ajouta-t-il d’un ton sec.
Alric était rouge de colère et tremblait un peu en faisant ses bandages.
-  « Je sais que tu es prête à tout pour te faire soigner par moi, mais là, franchement, il va falloir que tu arrêtes de me faire peur. La prochaine fois, je te préviens, je vais être obligé de t’embrasser. » Conclut-il en rangeant la trousse de secours.
-  « Rhââ non, plutôt rougir… euh, mourir ! » Balbutia-t-elle en rougissant.
Elle se releva prestement et clopina vers son sac, pressée de repartir et d’échapper à son regard inquisiteur. Deux heures plus tard, la nuit tombait et ils s’arrêtèrent pour manger un morceau avant de décoller en direction de la forteresse à la faveur de l’obscurité.
Alors que la deuxième lune se levait à peine, ils furent surpris de voir le profil noir d’encre de la place forte se découper telles les dents d’un monstre apocalyptique sur le fond plus clair d’une falaise hallucinante de hauteur. Quelques meurtrières vaguement éclairées figuraient des yeux malveillants les observant dans la nuit. C’était une vision cauchemardesque et désespérante.
-  « Waouh ! ça fiche les chocottes ! Tenta de plaisanter Eloïse d’une voix un peu trop aigüe. Quand je pense qu’il va falloir y entrer… »
-  « T’affole pas, il faut d’abord trouver un moyen de le faire. Je suggère de commencer par quelques heures d’observation préalables, histoire de se faire une idée des tours de garde, des arrivées des fournisseurs, des points faibles… Enfin, bref, toutes les informations potentiellement utiles. »
-  « Ah, on voit que tu lis de romans, toi au moins… Ironisa son amie. Mais bon, ok : on se relaie et on note tout. Tu veux bien commencer ? Je crois que j’ai besoin de me reposer et de dormir un peu. Avec un peu de chance, mon bras me lancera un peu moins, demain matin… »
Lorsqu’elle se réveilla, elle souffrait un peu moins, en effet, et les soleils étaient déjà hauts dans le ciel, répandant leur froide lumière bleue sur la pierre noire de la forteresse et la rendant plus inquiétante et ténébreuse encore que dans l’obscurité. Elle vit, par-dessus son épaule, qu’Alric avait noirci plusieurs pages de son carnet de notes et de schémas d’infiltration.
-  « Alors, la marmotte ? Tu te sens mieux ? Il reste encore quelques viennoiseries en sachet, si tu as faim. Et du jus d’orange en briques. »
-  « Merci, répondit Eloïse en s’étirant. Alors ? Du nouveau ? »
-  « Oui, je sais comment rentrer, enfin… en théorie. Bien entendu, la porte principale et exclue. J’ai aussi éliminé une à une toutes les possibilités aériennes : comme tu l’as fait remarquer hier, tout le monde a des ailes, ici et ce type d’intrusion a été rendu impossible. La bonne nouvelle, c’est que j’ai découvert ce matin qu’il y a un égout qui sort au pied de la forteresse, derrière ce contrefort, là-bas. C’est un angle mort pour les gardes en faction à l’intérieur et au-dessus. La mauvaise nouvelle, c’est qu’il est fermé par une grille à barreaux ultra épais. Il faut juste qu’on trouve un moyen de la desceller. »
-  « Okay… Bon alors, pour desceller une grille, on peut… la tirer ? »
-  « Impossible, elle est solidement fixée dans la pierre et nous ne sommes que deux. »
-  « Creuser dessous ? »
-  « Impossible, le sol est pierreux. »
-  « Couper les pattes de scellement ? »
-  « Avec quoi ? On n’a ni scie à métaux ni chalumeau. »
-  « Creuser la pierre autour des pattes ? »
-  « Trop dur, trop long, trop bruyant » Enuméra Alric.
-  « On pourrait essayer la télékinésie ? »
-  « On n’est pas assez expérimentés pour y arriver… »
-  « Je ne sais pas moi ! Faire fondre le fer ? »
-  « On n’a toujours pas de chalumeau ! Ni d’acide… »
-  « On peut peut-être en fabriquer ? »
-  « Avec quoi ? Des pâtes déshydratées et de l’eau ? »
-  « Ben je sais pas, moi ! qu’est-ce qu’on a d’autre ? Il y a forcément quelque chose qu’on peut faire ! S’exclama Eloïse, exaspérée. Réfléchis ! C’est toi, le cerveau, après tout ! »
Alric lui jeta un regard mi incrédule, mi impuissant et un long silence pensif suivit. Avec une pointe de culpabilité, elle réalisa qu’elle se contentait de regarder son ami et d’attendre qu’il lui propose LA solution qui règlerait tout.
- « On a un griffon… »Finit par déclarer Alric d’un air pensif.
- « Et alors ? »
- « Les griffons pleurent des larmes corrosives… extrêmement corrosives, si on en croit les légendes. Heureusement, ils ne pleurent qu’exceptionnellement, sinon ça poserait des problèmes à leurs maîtres, j’imagine… Bref, il paraît qu’ils sont très sensibles à la musique. »
- « Super ! On n’a plus qu’à louer un orchestre ! »
- « Pas la peine de ricaner ! On a une flûte, je te rappelle. Et je me suis laissé dire que tu jouais divinement, toi aussi, ajouta Alric avec un sourire. Qu’est-ce que tu connais de plus triste ? »
Eloïse passa en revue tous les morceaux qu’elle connaissait suffisamment bien pour les jouer de mémoire.
-  « La Pavane pour une Infante défunte, de Ravel ? Suggéra-t-elle finalement. Personnellement, elle m’émeut aux larmes… Elle rougit un peu en faisant cet aveu, un peu trop personnel à son goût. Tu es sûr de toi pour l’acide et pour l’entrée par les égouts ? C’est un peu… beurk… et dieu sait ce que nous allons trouver là-dedans. »
-  « Non, pas du tout, mais il n’y a pas l’air d’y avoir trop de débit à la sortie, donc on devrait pouvoir remonter jusqu’à… quelque part à l’intérieur. On gardera de l’acide pour une éventuelle grille en amont et au pire, on reviendra bredouilles. C’est un peu hasardeux, d’accord, mais au moins ce n’est pas trop risqué. »

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