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Les Oeufs du Destin - 11

mardi 28 mai 2019, par Sylvie Pichon

Chapitre 11 : Trompes & barreaux

Il fallut cinq bonnes minutes à Eloïse pour provoquer la première larme du griffon. Elle était persuadée que la gourde en plastique qu’Alric lui tenait sous les yeux ne l’aidait pas. Une fois parti, pourtant, Kripec pleura sans compter pendant les dix minutes suivantes.
-  « Super ! se réjouit Alric, ma gourde est quasiment pleine. Maintenant tu peux lui faire un câlin pour le consoler avant que nos chaussures ne fondent ? »
-  « Et puis quoi encore ? Nero fais-lui un bisou, on a du travail, nous ! »
-  « On attend encore un petit quart d’heure que la ronde dépasse l’entrée, ça nous laissera quasiment une heure pour ouvrir la grille et disparaître dans la canalisation, ça devrait être impeccable. »
Alric versa précautionneusement l’acide sur les pattes de fixation de la grille qui se mirent à fumer et grésiller d’une manière inquiétante. Les deux jeunes gens jetaient des regards inquiets autour d’eux, craignant que cela n’attire les gardes. Heureusement, ils étaient loin de tout et de jour l’activité de la forteresse était suffisamment importante pour noyer le bruit. Lorsque l’acide eut fini de faire effet, ils tirèrent la grille chacun de leur côté et elle céda sans beaucoup d’efforts.
-  « Eh bien voilà, ça n’a pas été si compliqué, finalement », commenta Alric en repositionnant la grille à sa place pour qu’elle n’attire pas l’attention des gardes de ronde.
-  « Oui, les Rhaïms ne sont vraiment pas très prudents, ajouta Eloïse d’un air méprisant. Je me demande comment ils ont fait pour gagner la guerre contre les Shaïtans ! »
Les deux jeunes gens se courbèrent pour entrer et se couvrirent le nez avec un foulard pour tenter de rendre la puanteur plus supportable. Rapidement, ils purent se redresser et progresser plus facilement malgré la pente. Kripec, qui n’avait pas assez d’espace pour déployer ses ailes, levait les pattes très haut d’un air dégoûté. Il n’appréciait visiblement pas la boue malodorante et noire qui couvrait le sol du conduit. Ils plaisantaient sur la nécessité de lui coudre de petites bottes quand un croassement urgent de Nero les rappela à la cruelle réalité : ils étaient en terrain hostile !
Trois créatures grisâtres, chitineuses et hérissées de pointes, pourvue d’une longue trompe osseuse dangereusement pointue se ruaient vers eux en poussant des piaillements suraigus et en agitant devant eux leurs longues pattes maigres et articulées.
-  « Une attaque de skelts ! hurla Alric, décidément très au fait de la faune gerladéenne.
Ils sortirent leurs katanas d’un geste souple tandis que Kripec se jetait bec et ongles sur leur premier assaillant, lui saisissant la trompe de son bec puissant et entreprenant de la cisailler. De son côté, Eloïse coupait les unes après les autres les six pattes griffues du second à grands coups d’épée, faisant jaillir des gouttes de sang orange qui éclaboussaient la voûte tout autour d’elle. Alric tentait sans grand succès de couper la tête du sien, heurtant la chitine épaisse en poussant de grands cris sauvages. Perdant l’équilibre sur le sol glissant, il tomba lourdement au sol, constituant une proie facile pour le skelt qui se jeta la trompe en avant sur son cou découvert. Nero vola à son secours en agitant frénétiquement les ailes et en tentant de lui crever les yeux avec ses serres. Kripec et Eloïse qui avaient maîtrisé les deux autres arrivèrent chacun de leur côté, l’un attaquant les pattes, l’autre la trompe.
Rapidement les trois créatures furent hors de combat, continuant à hurler de plus belle leurs cris stridents, s’agitant impuissants sur le sol dans une flaque de sang orangé qui se mêlait à la boue de l’égout. Les deux amis et leurs compagnons à plumes se carapatèrent dans le tunnel qui montait toujours plus haut, pressés d’échapper aux glapissements insupportables de leurs assaillants.
-  « Evidemment, pantela Alric penché en avant, les mains sur les genoux, c’était trop facile ! Espérons que les égouts ne nous réservent pas d’autres mauvaises surprises… »
-  « Bah, il faut bien qu’on s’amuse un peu ! On commençait à s’ennuyer sérieux, non ? »
-  « On voit bien que ce n’est pas toi qui a failli te faire transpercer et vider de ton sang par un moustique géant, grommela Alric. »
Au bout de longues minutes de marche, ils atteignirent un collecteur où aboutissaient de nombreuses conduites trop étroites pour être empruntées.
-  « Mince, un cul de sac ! Je ne m’attendais pas à ça, murmura Alric, déconfit. »
Eloïse parcourut les murs du pinceau de sa lampe torche.
-  « Regarde ! Il y a des échelons qui permettent de grimper, là ! Et au-dessus, une sorte de plaque, on dirait. »
-  « Qui s’ouvre où à ton avis ? »
-  « Bonne question ! On monte ? »
-  « C’est notre seule option, de toute façon. Je soulève la plaque, tu assures mes arrières avec ton arbalète, ok ? Mais évite de me transpercer au passage, avertit Alric. »
-  « Pas de problème. Je compte jusqu’à trois et on y va ! »
Ils sortirent sans encombre, à la grande surprise d’Eloïse, dans une arrière cuisine qui servaient de buanderie et de réserve de fournitures diverses et passablement mystérieuses. On entendait à travers l’une des deux portes des voix et des bruits de métal évoquant des casseroles que l’on entrechoque. Ils jugèrent que la deuxième porte menait dans un couloir qui avait peu de chances d’être gardé, mais était sans doute assez fréquenté.
Alric entrebâilla discrètement la porte de la cuisine.
-  « Regarde, chuchota-t-il, il y a du pain et de la viande séchée et des tas d’autres trucs pas appétissants du tout. On a besoin de nourriture pour les jours à venir… »
-  « Tu es sûr que c’est comestible ? Et il y a pas des cuisiniers, aussi ? »
-  « Si, deux, mais ils sont à l’autre bout de la cuisine et c’est plutôt sombre. »
-  « Peut-être, mais je te signale que si tu les vois d’ici, la réciproque est sûrement vraie. On ne peut pas se permettre de tuer tous les Rhaïms qu’on croise, on va se faire remarquer. »
-  « On n’a qu’à envoyer Nero et Kripec. Ils seront à peine visibles dans l’ombre. »
Les deux familiers se glissèrent discrètement dans la cuisine et subtilisèrent des lamelles de viande séchées et quatre pains noirs durs comme de la pierre pendant qu’Alric et Eloïse remplissaient leurs gourdes au robinet qui remplissait le lavoir en continu d’une eau d’une étrange couleur bronze dont ils espéraient qu’elle soit potable.
-  « Maintenant, direction les prisons… Sors la carte magique, histoire d’avoir une idée de la direction à prendre. »
-  « A gauche toute ! Conclut Eloïse après quelques secondes d’observation. »

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