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Métamorphoses - Chapitre 3 : Mya

lundi 9 décembre 2019, par Sylvie Pichon

En sortant du cours de maths, où nous sommes chacun à un bout de la classe, Sam et moi nous jetons un regard consterné :
- « C’était censé être des révisions, ça ? On ne l’a jamais vu l’année dernière, j’en suis sûre. »
- « Carrément pas, on s’en souviendrait, quand même ! C’est pas comme si on était nuls en maths… Renchérit Sam. Elles sont trop canons, dis-donc, tes voisines ! Elles sont sympas ? »

- « Ouais, t’as raison : deux pestes avec un pot de peinture sur la figure et Miss Freeze… Enfin Rose est plutôt décente, mais ce sera difficile d’être amie... »
- « C’est laquelle ? »
- « La princesse blonde, là-bas. Son petit ami est à l’internat avec toi. »
- « Quoi ? Pas la grosse brute ou le bipolaire, quand même ? »
- « N’importe quoi ! C’est le beau gosse du collège, à côté d’elle… Le capitaine de l’équipe de hockey, ou un truc comme ça. Le haut du panier, qu’est-ce que t’imagine... »
- « Ah oui, un des types sympas de la chambre d’en face ! Il a fallu que je tombe sur les deux pénibles de service, comme d’habitude. » soupire Sam.

La porte du réfectoire franchie après une attente ridiculement longue (il y a beaucoup plus d’élèves ici que dans notre ancien collège, il va falloir nous y faire !), nous restons bouche bée.
- « Waouh ! La classe ! Regarde-moi ce buffet ! On va devenir énormes ! » Je m’extasie.
- « Wéééh ! C’est quand même autre chose que notre vieux réf’ ! Ajoute Sam les yeux brillants. Les élèves sont aussi nuls que chez nous, mais alors les locaux, ça pète ! »
- « Alors, les deux cassos, on découvre la vie ? » Lancent en chœur Maud et Jade, accompagnées de deux autres filles, une brune et une rousse. Leur bande, j’imagine.
Deux garçons bruns explosent de rire, comme si c’était la chose la plus drôle qu’ils aient entendue de leur vie et bousculent rudement Sam en lui arrachant son plateau des mains et en rejoignant les filles, qui sont passées devant nous.
- « Comme si c’était ça, la vraie vie. » Je grommelle à l’intention de Sam qui reprend stoïquement un plateau.
- « Non, répond-il, amer. La vraie vie c’est les pires brutes du collège qui se liguent ensemble pour nous persécuter, comme toujours... »
- « Eh, hauts les cœurs ! On s’en sortira cette année, je te le promets ! On trouvera une solution, on se battra ! Pas question que ça recommence comme l’année dernière... »
- « Mouais, si tu le dis… Ça a portant l’air tellement facile, pour certains... »
Il me désigne de la tête un groupe de cinq élèves qui s’installent à une table ronde, à côté des baies vitrées ouvertes et de la vue sur le parc arboré. Parmi eux, je reconnais Rose et son petit ami, ainsi que le beau garçon aux yeux vert fluo qui voulait porter ma valise. Il y a également une très jolie brune à lunettes qui lui ressemble comme deux gouttes d’eaux et un petit blond, fin et élégant. Si nous réussissions à nous lier d’amitié avec eux, nos soucis disparaîtraient aussitôt, ça ne fait pas un pli.
- « Rêve pas, m’interrompt Sam. Nous, on a peut-être besoin d’eux, mais eux n’en n’ont rien à faire, de nous... »
- « Arrête de lire dans mes pensées, Sam, c’est creepy ! Et ça peut se faire : Rose est dans ma chambre et même si elle est glaciale, je crois que c’est une fille bien. »
- « Pfff… Une princesse, comme tu dis… Laisse tomber… Elle ne s’abaissera jamais à être méchante avec toi, elle se contentera de t’ignorer gentiment… On n’est pas du même monde... »
Je hausse les épaules, fataliste. Il a raison, bien-sûr, mais je ne suis pourtant pas disposée à laisser tomber sans avoir au moins essayé.
Une bouchée de feuilleté aux st jacques me fait fermer les yeux de plaisir. Nous avons beau être coincés sur une table minuscule entre les toilettes et la fontaine à eau, y a pas à dire, ce restaurant scolaire calme, aéré, coloré de rose pâle et de taupe et parsemé de claustra en bois et de plantes vertes, mérite vraiment son nom, pour une fois !

Notre après-midi est à la fois stimulante et terriblement déstabilisante : tous les cours sont en anglais (ce sera comme ça tous les jours) et Sam, qui a pu se placer sur la table voisine, a autant de peine que moi à suivre. Pour les autres, manifestement c’est la routine et leurs interventions orales montrent qu’ils sont tous bilingues ou quasiment. Même Maud et Jade, dont les réponses ne sont certes pas très pertinentes mais dans un anglais excellent…
Le professeur d’histoire, qui nous a vu verdir au fil de l’heure, nous convoque à la fin et nous explique gentiment que c’est tout à fait normal : les autres sont habitués à ce régime depuis le primaire ou la maternelle, mais nous allons nous y faire. Si nous le souhaitons, il peut nous inscrire au cours de soutien en langue anglaise prévu pour les nouveaux élèves, ainsi qu’à l’aide aux devoirs. Nous acceptons avec soulagement : après tout, ce n’est pas comme si nous devions prendre le bus pour rentrer chez nous le soir !
En fin de journée, nous sommes lessivés et il nous reste encore des devoirs et les leçons à apprendre durant l’heure libre avant le dîner.

Le repas du soir est encore digne d’un restaurant trois étoiles. Il y a même le choix entre pâte à tartiner et plusieurs confitures (bios, s’il-vous-plaît) pour mettre sur nos crêpes. L’ambiance musicale pendant le repas permet d’oublier les tensions du jour ; à ce que j’entends, c’est le club « Vie sociale » qui crée la playlist.
- « Dis-donc, et si on s’inscrivait au club Vie sociale ? Je m’exclame soudain. Ce serait idéal pour se faire des amis, non ? »
- « Bouaif… Si tu veux, on peut toujours essayer... Mais si tu crois que... »
- « Oh là ! Mais qu’est-ce qui t’arrive bon sang ! Tu pourrais faire un effort ! C’est Alice qui te manque à mort, ou quoi ? »
- « Non, c’est pas ça. Enfin pas que… C’est juste que tu es tellement pleine de… Je ne sais pas moi… d’espoir, d’enthousiasme ! J’ai peur que tu tombes de très haut et que ça te fasse mal… »
- « Oui, et bien j’essaie, moi au moins… Je ne me résigne pas au pire ! » Je lui lance, en claquant un peu trop fort mon plateau sur le tapis roulant qui emporte nos assiettes sales vers la cuisine. Je salue poliment les dames de service qui trient nos déchets, de l’autre côté du mur, avec une pensée pour ma mère qui est femme de ménage à l’hôpital, et je quitte le réf’ d’un pas vif.

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