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Métamorphoses - Chapitre 4 : Sam

mardi 17 décembre 2019, par Sylvie Pichon

Nous retournons silencieusement aux dortoirs. Je suis certain que Mya m’en veut, mais je ne peux pas m’empêcher de me faire du souci pour elle. Sous ses airs bravaches et décidés, je sais qu’elle est fragile.

L’année dernière quand tout le monde s’est mis à nous traiter de couple de monstres, avec moi dans le rôle de la fille et elle dans celui du garçon, même si elle a fait semblant de s’en moquer, elle a suffisamment souffert pour se mettre à se scarifier. Elle a essayé de me le cacher, bien-sûr, mais on passe assez de temps ensemble pour que j’aie fini par apercevoir les marques, un soir de canicule où elle a enfin accepté de se baigner dans la piscine d’Alice. Un soir de plus où elle a dormi chez moi parce que sa mère était en pleine dérive et mon père en service de nuit, à l’hôpital.
Il est infirmier, elle est femme de ménage. Ils sont sortis ensemble à une époque : leur histoire n’a pas fonctionné, mais notre amitié est née là, à se serrer les coudes, tous les deux, unis contre les défaillances de nos parents, à nous rassurer mutuellement quand les cris et les coups secouaient le petit pavillon… Et nous continuons à nous ramasser l’un l’autre, à nous aider à rester debout envers et contre tout.

En arrivant dans le bâtiment d’internat, les surveillants nous envoient nous détendre dans le Salon Récréatif, filles et garçons ensemble, jusqu’à 21h30. Mya et moi venons à peine de nous installer sur un des canapés, un bouquin à la main, quand Maud, Jade et leur deux copines, Vicky et Chloé, je crois, s’avancent vers nous telles des furies.
- « Ôtez tout de suite de là vos fesses de cassos ! Nous enjoint Maud (ou Jade ?), d’un ton agressif. C’est NOTRE canap’ ! »
- « Comment ça ? Y a pas votre nom écrit dessus ! C’est une salle commune et il y a plein d’autres endroits pour s’asseoir ! » Se rebelle Mya.
- « Ya pas besoin, tout le monde le sait ! Et ce sont pas deux petits péquenauds qui vont faire la loi ici ! »
- « Il est peut-être temps que les choses changent ! » Je rétorque, de mauvaise humeur et désireux d’éviter que Mya, qui bouillonne, n’explose totalement, ce qui n’est jamais une bonne chose.
- « Ok, c’est ce qu’on va voir... S’en mêle Noa. Ici, pour faire la loi, il faut des muscles... »
- « C’est à dire ? »
- « Tu gagnes un bras de fer contre moi et le canapé est à vous jusqu’à la fin de l’année. »

Aucune chance que je gagne à ce jeu… Et bien-sûr, il n’y a aucun surveillant dans les environs : nous sommes en « auto gestion », à ce qu’il paraît. Quant aux autres élèves présents, ils font semblant de ne rien entendre ou sourient discrètement. Rien de nouveau, donc… Une petite table ronde est aussitôt dégagée de ce qui l’encombre et deux bougies allumées surgies d’on ne sait où sont installées de part et d’autres par Tim qui en a soigneusement mesuré l’écartement à l’aide de son avant-bras. La sueur perle à mon front et j’avale ma salive difficilement. Comme toujours, Mya vole à mon secours.
- « C’est moi qui vais le faire, affirme-t-elle avec assurance. On va voir si tu es capable de battre une fille ! »
Noa l’écarte de son chemin avec mépris et la regarde de toute sa hauteur avec un rictus suffisant.
- « Je ne me bat pas contre les filles… Mais si tu tiens vraiment à ce que je te tripote, la gou...e, pas de souci, je suis à ta disposition. Je suis sûr que tu vas en redemander ! » Ajoute-t-il avec un clin d’œil salace tout en arrêtant au vol le poing de Mya, qui se dirigeait vers son nez, avec une vivacité qui en dit long sur ses capacités sportives et combatives.
Chloé s’interpose entre eux avant que ça ne dégénère.
- « Eh oh ! C’est quoi ces propos de macho sexiste ? » Elle a les poings serrés et l’air sincèrement furax.
- « Ok, ok, c’est bon la féministe… On a compris... Intervient Tim, souriant mais condescendant au possible. Allez, Noa, on se recentre sur le problème : tu bats ce minable au bras de fer et tu le remets à sa place. On n’a pas que ça à faire ! »
Mya a une expression tellement offusquée que ça pourrait me faire sourire dans d’autres circonstances, mais Chloé la retient discrètement par le bras avant qu’elle ne saute sur l’un des deux garçons et Jade (ou Maud ?) me pousse avec empressement vers la table sur laquelle Noa a déjà posé le coude.
-  « J’en connais un qui a fait de la muscu tout l’été ! Minaude-t-elle en direction du garçon, qui semble tellement ravi qu’il en est ridicule. Tu vas n’en faire qu’une bouchée ! »
- « Non mais c’est quoi, cette façon de parler ? » Grommelle Mya pendant que j’essaie de trouver une position à peu près confortable pour mon coude et que la main gigantesque et chaude de Noa engloutit la mienne, moite, froide et tremblante comme un poisson sorti de l’eau. J’évite de le regarder et je me concentre sur mon amie qui me fixe avec intensité, comme pour me transmettre tout le courage qui me manque.

Lorsque Tim donne le top départ, il est rapidement clair que malgré toute ma motivation, je ne suis pas à la hauteur. J’ai beau serrer les dents à m’en briser la mâchoire, ma main s’approche inexorablement de la flamme de la bougie : je sens la chaleur augmenter, augmenter, puis malgré mes efforts, mon bras cède d’un coup et ma main atterrit sur la flamme. La douleur est insupportable et je bondis en poussant un cri strident. Un cri de fille, impossible de le nier et, humiliation suprême, les larmes me montent aux yeux et glissent sur mes joues. Mya, qui avait prévu le coup, m’entoure déjà de ses bras et m’entraîne sous les huées et les rires vers le lavabo le plus proche pour faire couler de l’eau froide sur ma brûlure tout en me murmurant des paroles rassurantes… et, pleurant toujours, je me rappelle d’autres scènes semblables où Mya étalait avec douceur, en me berçant contre elle, de la crème sur mes brûlures de cigarettes...

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