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Métamorphose - Chapitre 6 : Sam

lundi 20 janvier 2020, par Sylvie Pichon

Quand je retrouve Mya au petit déjeuner, elle est catastrophée. Son devoir de maths est couvert de vernis à ongle et malheureusement, je suis d’accord avec elle : impossible de le rendre dans cet état au prof. Elle profite du quart d’heure de battement avant les cours pour commencer à le recopier, ce qui est loin de suffire.
- « Tant pis, je terminerai pendant le cours de français. » M’affirme-t-elle.

- « Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée… Tu pourrais demander un délai. »
- « Ah non, pas question ! On a déjà une assez mauvaise image comme ça ! »
Je ne peux pas lui donner tort, mais elle n’est pas assez discrète et ce que je craignais arrive. Le prof de français, qui passe dans les rangs l’air de rien, lui arrache sa copie des mains.
- « Pythagore ! Un personnage tout à fait fascinant ! Je sens que vous allez me faire un exposé sur le sujet. Et en attendant, rendez-vous chez le CPE, sans passer par la case départ. Je suis sûr qu’il sera ravi d’entendre vos explications ! »
Mya remballe ses affaires et je la vois glisser sa copie pailletée dans son sac, puis elle traverse la classe la tête basse et les joues cramoisies. A son passage, Jade et Maud se font un check qui claque dans la salle silencieuse. Le prof leur jette un regard désapprobateur mais ne relève pas.
A la fin de l’heure, une surveillante m‘annonce que je suis convoqué par le CPE. Je me sens mal. Qu’est-ce qui a pu se passer ? Mya y est encore, les yeux rouges et manifestement en stress, mais elle me fait un petit sourire rassurant lorsque je m’assieds à côté d’elle. Apparemment, elle a vidé son sac et le CPE me demande ma version des faits. A la fin de l’entretien, il nous tapote le dos, rassurant, et nous promet de régler la situation. Je devine à son attitude qu’il s’attendait à ce genre de problèmes.
En sortant de son bureau, nous croisons les jumelles et mes deux meilleurs amis, sagement assis sur les fauteuils de la vie sco et en train de papoter avec les surveillants, ce qui ne les empêche pas de nous jeter un regard meurtrier au passage. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai comme l’intuition que les choses ne vont faire qu’empirer…

Les jours suivants me donnent amplement raison, hélas ! Désormais, nous ne sommes plus seulement les cassos ou les péquenauds, mais aussi les « Rats » (prononcé à l’anglaise, ce qui signifie « les balances » nous a aimablement informé Google traduction). On nous bouscule dans les couloirs. On nous fait des croches pieds dans les escaliers. Nos trousses et nos cahiers tombent dans les allées des classes. Les insultes et les ricanements fusent dès que nous tournons le dos. Tous les soirs, nos draps sont pliés en portefeuille, ou défaits et cachés dans un placard, ou suspendus par la fenêtre (pour s’aérer) les jours de pluie. Nos vêtements et serviettes disparaissent pendant que nous prenons notre douche, un soir, et nous devons regagner notre chambre furtivement, nus et trempés. Les fois d’après nous les laissons auprès de nous, dans la cabine et nous rentrons habillés, certes, mais mouillés tout de même, avec la moitié des vêtements à l’envers car la lumière s’est mystérieusement éteinte au bout de cinq minutes. Les piles de nos calculettes tombent en panne le même jour. Nos affaires tombent de notre sac dont les coutures du fond ont soudainement lâché. Une de nos chaussures de sport est tout à coup introuvable, ou alors c’est l’un de nos manuels ou le roman à lire en français. Nos chaises de bureau se sont brusquement dévissées, nous valant une belle chute sur le coccyx. Tout le monde devient brutalement maladroit en passant vers notre petite table du réfectoire, malheureusement bien trop proche de la fontaine à eau...

Nous sommes bien entendu interdits de salle de détente et nous avons dû nous réfugier dans une chambre non occupée de l’étage des garçons dans laquelle nous nous glissons lorsque les surveillants descendent fumer et discuter dehors pendant notre heure et demie d’auto gestion. « Nous n’avons jamais eu le moindre problème pendant ce temps là ! » nous avait affirmé avec autorité le CPE, comme si ce qui nous était arrivé était de notre faute.
- « Évidemment ! m’a fait remarqué Mya. Personne avant nous n’a été assez bête pour se plaindre. »
- « Sans doute, et ils ont fait comme nous : je te parie que nous ne sommes pas les premiers à nous cacher ici ! »
- « Tu crois qu’ils rajoutent tous les jours des idées sur leur liste de sévices à nous infliger ? Ou qu’à un moment ils vont tourner en boucle ? » S’interroge Mya.
- « Bof, ça m’étonnerait, on va finir par trouver une parade à toutes leurs petites blagues… Et puis tout le bonheur est dans l’effet de surprise… Ce qui est étonnant c’est qu’ils soient capables d’en inventer tout le temps des nouvelles. »
- « Bah… Tim et Chloé sont plutôt intelligents. Et j’imagine que la méchanceté donne des ailes, façon de parler... »
- « Ouais, je soupire, désabusé. On n’a plus qu’à faire profil bas en espérant qu’ils se lassent… Après tout, c’est que pour deux ans... »
- « Tu rigoles ! Pas question de baisser les bras ! On aura notre revanche, je te le jure ! Et on leur rabattra leur caquet définitivement… Mya, fronce les sourcils, terriblement déterminée. Déjà, notre moyenne est bien remontée et les profs, au moins, vont cesser de nous considérer comme les demeurés de service qu’ils supportent charitablement dans leurs classes. Si on a les félicitations, ce sera déjà une satisfaction. »
- « Je serais bien surpris qu’on nous accorde plus que les encouragements ce trimestre. Ce serait reconnaître que nous étions déjà bons en arrivant de notre pauvre petit collège. Non, les félicitations ce sera pour plus tard, pour s’auto-congratuler des progrès qu’ils nous auront fait faire. »

Mya hausse les épaules, mais ne trouve rien à répondre. Comme moi, elle aimerait croire que j’ai tort, mais elle aussi a compris depuis longtemps comment ce collège fonctionnait. Car le CPE s’est bien gardé de nous demander si les choses allaient mieux et les surveillants sont mystérieusement atteint de cécité et de surdité lorsque nous sommes concernés. Nos camarades aussi, bien sûr, mais ça, nous nous y attendions.

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