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Métamorphoses - Chapitre 7 : Mya

lundi 3 février 2020, par Sylvie Pichon

Le mardi matin avant les vacances de Noël, notre arrivée dans le hall est saluée par une nuée de ricanements, de regards moqueurs, de reniflements méprisants et de quelques sifflets vite interrompus par le passage du CPE. Malgré l’interdiction, quelques portables passent discrètement de mains en mains derrière l’abri offert par les portes ouvertes des casiers. Les commentaires murmurés nous concernent de toute évidence.

Sam et moi échangeons des regards de plus en plus inquiets : qu’est-ce que nos voisins de chambre ont encore bien pu inventer ?
Notre expectative est de de courte durée. Dans un couloir, Vicky se précipite vers nous en brandissant son I-phone.
- « Au moins, maintenant, tout le monde sera presque sûr que vous êtes un garçon et une fille ! » S’esclaffe-t-elle.
- « Sauf s’ils se sont fait opérer ! Rectifie Tim. On ne peut être certains de rien... »
J’ai le temps d’apercevoir sur l’écran une silhouette nue parcourant un couloir en rasant les murs. A la façon dont il se protège l’entrejambe et à sa maigreur, je suppose que c’est Sam, mais les réflexions des autres me donnent à penser qu’une scène équivalente dont je suis la vedette circule également sur Insta. J’avoue que l’idée qu’ils nous avaient volé nos vêtements pour nous filmer dans cette tenue ne nous avait pas effleurée, sur le coup. Quels naïfs nous faisons !
- « La seule chose dont on peut être certains, c’est que vous êtes des pervers ! Je lui répond vertement.Vous êtes vraiment pathétiques… Et vous le serez encore plus quand les gendarmes montreront votre œuvre à vos parents… »J’ajoute, prise d’une inspiration subite.

L’arrivée de notre prof interrompt notre échange, mais je me sens littéralement bouillir pendant le cours. La vision de Sam, verdâtre, le visage figé par l’angoisse et les poings serrés n’arrange rien. A la fin des deux heures, je profite de la récré pour le prendre par le bras et l’emmener dans un coin tranquille. Je trouve les images humiliantes, bien sûr, mais en définitive, si on réfléchit bien, elles sont plutôt plus embarrassantes pour leurs auteurs que pour nous, non ? C’est du moins ce dont j’essaie de convaincre un Sam toujours blême,
- « Tu plaisantes ? Regarde les commentaires ! On nous traite d’exhibitionnistes, je te signale… Et de gays, une fois de plus... »
- « Oui, mais juste pour faire plaisir à la petite bande ! Personne ne peut vraiment croire qu’on l’aie fait exprès : on voit bien qu’on essaie de disparaître dans le mur… Quand à être traités de gays, franchement ! Je vois pas le rapport, de toute façon. Ouvre les yeux, Sam ! Ça nous donne une super occasion de nous venger : on porte plainte, les flics font une enquête, le collège les renvoie pour éviter le scandale, leur parents les pourrissent... »
- « Dans tes rêves, oui ! Le collège et les parents vont tout faire pour étouffer l’affaire et c’est sur nous que ça va retomber. Et mon père ? Comment tu crois qu’il va réagir si je lui montre le film pour lui expliquer qu’il doit porter plainte contre la fille du directeur de l’hôpital ? Et simplement en voyant les images, d’ailleurs... » Ajoute Sam avec amertume.
- « Qui est la fille du directeur de l’hôpital ? Et qu’est-ce que ça change d’ailleurs ? »
- « Vicky, espèce d’ahurie ! Tu comprends vraiment rien à la vie, ou tu fais exprès d’être idiote ? » Il me crache les mots au visage et part vers le hall principal en me bousculant au passage.
Qu’est-ce qui lui prend ? Il ne m’a jamais parlé comme ça. Comme si c’était ma faute, en plus ! Je suis une victime moi aussi et tout ce que je fais c’est essayer de ne pas subir la situation. Je suis furieuse contre lui et bien décidée à ne plus lui parler jusqu’à... la fin des temps. Je retourne dans le hall sans le chercher du regard et je vais me planquer derrière un pilier, histoire d’échapper le plus possible à l’attention des autres collégiens. Dans ma ligne de mire, j’aperçois soudain le groupe des jumelles qui discutent avec Tim. J’ai l’impression que ma menace a fait son effet, car l’heure n’est plus à la rigolade et au bout de quelques minutes de discussions animées, je vois Chloé quitter le groupe avec un air clairement contrarié. Depuis le début, j’ai le sentiment qu’elle n’approuve pas complètement les activités de son petit groupe de copines. Cette fois le ver a l’air d’être dans le fruit, comme dirait ma grand-mère… Toujours bon à savoir… Juste à la fin de la récré, Noa les rejoint, l’air très satisfait de lui-même, et ce qu’il leur annonce semble redonner le sourire à ses amis.

Lorsque les cours reprennent, malgré ma volonté de l’ignorer, je ne peux m’empêcher de remarquer que Sam n’est pas là. Est-il allé voir le CPE, finalement, ou a-t-il été convoqué ? Je me sens mal à l’aise, coupable d’être une fois de plus la cible des élèves les plus populaires et de semer le désordre dans ce collège si parfait… Logiquement ça devrait bientôt être à mon tour de visiter la vie scolaire, mais étrangement, l’heure passe et rien ne se passe. Je me sens de plus en plus mal…
Vers le milieu de la deuxième heure de cours, Sam revient enfin, le visage rouge et une expression que je ne sais pas comment interpréter : rage ? Désespoir ? Toujours est-il que le prof, qui s’apprêtait à lui demander des explications, se contente de prendre sans commentaire le petit billet de la vie sco et c’est sans surprise qu’un surveillant m’envoie dans le bureau de M. Vielmont. Tant pis, je mangerai plus tard, apparemment ! Et je digérerai sans doute mieux une fois que j’aurai sorti ce que j’ai sur le cœur.

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