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Métamorphoses - Chapitre 9 : Mya

mardi 17 mars 2020, par Sylvie Pichon

Pourquoi diable Sam m’a-t-il donné rendez-vous à un endroit pareil par une nuit aussi froide ? A peine arrivée au milieu du parc, je suis déjà frigorifiée et mes baskets transformées en bac à glaçons. Cela dit, à ce stade, je suis prête à tout pour enterrer la hache de guerre avec lui. N’avoir aucun ami dans un collège où tout le monde vous hait ou vous méprise, c’est l’enfer !

Je l’aperçois au fond du cabanon, à peine éclairé par la lueur verdâtre de son portable. Quand j’entre pour le rejoindre, il fait presque plus froid dedans que dehors,
- « Sérieux ! t’aurais pu trouver un autre endroit pour me parler ! »
- « Eh ! C’est toi qui a choisi ! »
Le bruit de la porte qui claque et de la clé qui tourne dans la serrure nous éclaire sur ce point, de même que les rires étouffés et la cavalcades qui s’éloignent rapidement.
- « On dirait bien qu’on s’est encore fait avoir… » Soupire Sam, fataliste.
- « J’en conclus que ce n’est pas toi qui m’a envoyé un message pour te réconcilier avec moi… » Je grommelle entre deux frissons.
- « Non, mais si nous sommes là tous les deux, c’est bien que nous avons l’intention de faire la paix. T’inquiètes, on va bien trouver un moyen de sortir de là, après tout, ce n’est qu’une cabane à outils ! Attends, j’allume mon portable pour faire le point. Ça devrait suffire, même si ma batterie est presque morte... »
Il ballade la torche de son téléphone sur les murs encombrés de pelles, pioches, râteaux et balais à feuilles et je ne peux retenir un cri lorsque la lumière passe sur une toile d’araignée qui abrite une énorme, horrible, terrifiante, bestiole poilue et rayée, au moins capable d’avaler un veau !
- « Oublie, oublie, oublie ! » M’implore Sam en posant une main rassurante sur mon épaule et en déplaçant vite fait le faisceau vers l’angle opposé. Je m’efforce de retrouver mon sang froid et je ne sais plus si je claque des dents de froid ou d’effroi. Contre moi, je sens Sam, encore moins habillé que moi, trembler également.
- « Bon, ben c’est pas terrible ! On ne va pas sortir d’ici avec un sécateur ou de l’anti taupes ! Par contre, on pourrait tuer l’araignée avec le balai ? » Je suggère avec empressement, en espérant qu’il s’en charge malgré son amour proclamé pour les animaux.
- « Mya, je ne crois pas que ce soit notre priorité, là. Ce serait plus malin de sortir. Regarde, si on grimpe sur l’établi, on doit pouvoir se glisser par le vasistas, là-haut, et puis on sautera dehors. »
- « Oui, mais l’araignée est tout prêt et… Aaah ! Je suis sûre que je l’ai vu bouger ! Aaaah ! »
- « Mais non, regarde, elle dort, affirme-t-il sans pourtant l’éclairer franchement. Ah zut ! C’est fini, j’ai plus de batterie… Allez, viens, grimpe ! S’exclame Sam en me tendant une main que j’aperçois à peine dans l’obscurité, pour m’aider à le rejoindre. Je monte à mon tour sur l’établi, un peu gauchement à cause de l’œil méfiant que je maintiens vers l’angle où se cache mon pire cauchemar. Ce que nous voyons à travers la vitre sale me fait pourtant l’oublier aussitôt. Sur la pelouse blanchie par le givre et la lune, quatre silhouettes passent en courant à une vitesse fulgurante, slalomant entre les arbres et se dirigeant vers la forêt qui borde le parc. Puis arrivés à la clôture, au lieu de ralentir, ils bondissent, et dans un même mouvement, incroyable, fluide, la franchissent et se métamorphosent en… loups !

Un hoquet de stupeur nous échappe à tous les deux et nous nous regardons, incrédules.
- « Tu as vu ce que j’ai vu ? » Je souffle au bout d’un moment.
- « Si tu as cru voir quatre ados sauter un mur de plus de deux mètres comme si c’était une bordure de trottoir tout en se transformant en loups, alors oui, moi aussi… confirme-t-il sur le même ton. Et tu les as reconnus ? »
- « Il y avait Rose, j’affirme, sûre de moi, ses cheveux blonds-blancs sont uniques… Et sa copine Lio, je pense, sans ses lunettes. C’est la seule à être aussi grande et mince à la fois... »
- « Oui, et son frère Théo, donc… Et Chris, son pote : il avait son T-Shirt de capitaine de l’équipe de hockey. Ne manquait que Mathieu, et leur bande était au complet... »
- « Faut croire que lui n’est pas un... » Je fais un geste de la main en direction du mur, incapable de finir ma phrase.
- « Un loup-garou ? » Complète Sam, incertain.
- « Ouais... »
Penser à la Princesse Rose, toujours si gracieuse, élégante et parfaite, se transformant en bête les nuits de pleine lune, est totalement loufoque. Et pourtant en un sens… poétique, finalement… Dans le genre poésie tragique, comme une malédiction entachant l’absolue perfection.
- « En fait, si on réfléchit bien, ils ont tous quelque chose en commun » commente Sam, dont les pensées ont suivi un cours semblable aux miennes, visiblement.
- « Quoi ? La fortune ? » Je l’interromps, sarcastique.
- « Non, enfin ça aussi, mais je voulais dire le côté athlétique, tu sais… Même la petite Rose qui a toujours l’air si délicate est une bête, en sport… Et puis les yeux... »
Je hoche la tête : il n’a pas besoin d’expliquer davantage. Ils ont des yeux, en effet, comment dire, incandescents, d’une couleur plus soutenue que la normale, plus intenses… Des yeux qui voient tout, qui vous voient tout entier, jusqu’au plus profond de vos pensées et de votre âme. Et pourtant si calmes, si détachés, si sages, si… si anciens.

Nous restons là un moment, perdus dans nos pensées, mais le froid intense qui nous fait grelotter nous ramène à la réalité. Nous débloquons le loquet rouillé du vasistas, non sans peine, puis nous le soulevons et nous glissons tant bien que mal l’un après l’autre à travers la mince ouverture, heureux finalement de ne pas être davantage habillés. Notre atterrissage nous semble singulièrement lourdaud et maladroit, comparé à la course et au saut des quatre loups et, comme malgré nous, malgré notre envie de retrouver la chaleur de l’internat, nous nous dirigeons vers la limite du parc, guidés par les traces de pas, un peu plus sombres dans le givre scintillant. Arrivés au pied du mur, nous levons le nez, encore un peu plus stupéfaits. Vu de près, leur exploit paraît encore moins crédible. Comme les vieilles pierres nous bouchent la vue et qu’il n’y a plus rien à voir ici, nous regagnons à pas lents et en silence le dortoir.
- « Tu sais, me dit finalement Sam, j’ai bien réfléchi. Je crois que tu avais raison, nous ne devons plus nous laisser faire. Et je crois que j’ai une idée... »

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