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Métamorphoses - Chapitre 11 : Mya

mardi 7 avril 2020, par Sylvie Pichon

Contrairement à ce que je craignais, la bande de Chris continue à nous ignorer mais Rose se montre plus distante que jamais avec moi. Elle ne me m’adresse plus la parole et évite systématiquement mon regard. Bien sûr, on était très loin d’être amies, mais au moins je ne sentais pas d’hostilité de sa part et c’était déjà quelque chose. C’est ce qui évitait de rendre l’atmosphère de ma chambre totalement irrespirable. Alors que maintenant…

Lorsque je rentre chez moi pour le week-end, à contre-cœur comme toujours, je trouve ma mère et mon beau-père effondrés sur le canapé devant des cadavres de bouteilles de mousseux, bien qu’il ne soit guère plus de 17 heures. Ma mère se lève d’un bond mal assuré mais enthousiaste et me prend dans ses bras. Elle sent l’alcool à plein nez et semble toute joyeuse.
- « Miam, ma puce, nous avons une super nouvelle à t’annoncer ! S’exclame-t-elle en tournant son visage rayonnant vers Régis. Nous allons nous marier ! »
- « Hein ? Quoi ? Mais pourquoi ? »
- « Comment ça, pourquoi ? Par amour, bien-sûr ! Et parce que nous attendons un bébé ! »
La nouvelle me laisse sans voix et je zappe complètement les commentaires ravis qu’elle ajoute et qui annoncent certainement une nouvelle vie de famille sans nuage. Le sourire contraint de Régis me donne à penser qu’il ne partage peut-être pas entièrement son bonheur. Je décide de l’ignorer.
- « Mais tu es complètement irresponsable, ma pauvre ! J’explose finalement. Tu ferais mieux d’avorter que d’épouser cette épave ! »
- « Tu ne parles pas comme ça à ta mère, c’est pas ta copine ! » S’emporte mon beau-père en me giflant violemment.
Ma tête part en arrière sous le choc et je chancelle contre la table basse, dont les bouteilles et les verres cliquettent et oscillent dangereusement.
- « T’as pas le droit de me toucher ! T’es pas mon père ! Et il est pas question que je reste dans cette maison avec vous, que je fasse la petite fille sage à votre mariage ou que je m’occupe de votre marmot intoxiqué avant même d’être né ! »
- « File dans ta chambre ! Me hurle ma mère, hors d’elle. Faut toujours que tu gâches tout ! Je veux plus te voir ! Va vivre chez ton merveilleux père et dégage de chez moi ! »
- « Avec plaisir ! Moi non plus je veux plus vous voir ! Et c’est pas moi qui gâche tout, ici ! »

Je me rue dans l’escalier et claque la porte de ma chambre si vigoureusement que mon poster de Titanic se décroche et glisse sous mon bureau. Paf ! Deuxième naufrage. Je me jette sur mon lit pour sangloter, la joue en feu et le moral à zéro.
J’espérais que Régis, comme les autres, finirait par partir, mais avec le mariage et un enfant en route, il n’est pas près de sortir de nos vies. Et pour avoir fait un exposé sur les risques du tabac et de l’alcool sur les fœtus, je suis très pessimiste sur l’avenir de ce pauvre bébé innocent. Sans même parler d’avoir eu des parents alcooliques depuis sa naissance ! Moi, au moins, je me rappelle de ce que c’est qu’avoir une famille normale… Avant que mon père ne nous quitte, ma mère allait bien et nous étions heureux. Même si j’étais sûrement trop petite pour me rendre compte de tout : mon père a probablement eu une bonne raison pour partir, non ? Une chose est sûre, lorsqu’elle s’est retrouvée seule, maman a sombré dans le chagrin et la dépression. Puis l’alcool, lorsque nous sommes allées vivre avec le père de Sam, le premier d’une longue liste de ‘’remplaçants’’ de papa. Les choses n’ont fait qu’empirer avec le temps…

Le lendemain dans la matinée, je trouve le courage d’appeler mon père. Je profite de ce que la maison est silencieuse, maman et Régis étant encore au lit après une nuit passée à se disputer, se réconcilier et boire. Au moins, je n’ai pas besoin de leur parler et de faire comme si tout allait bien. Je leur annoncerai mon départ quand ils se réveilleront et le sujet sera clos.
Avec papa, la discussion est artificiellement joyeuse et gênée, comme d’habitude : il fait semblant de se soucier de moi et de ma vie, tout en ne se souvenant absolument pas de ce que je lui ai dit la dernière fois ; je fais semblant d’aller tout à fait bien et d’être ravie de lui parler.
Je tourne autour du pot pendant une éternité avant d’oser lui poser la question qui m’importe réellement. Est-ce que je pourrais aller vivre chez lui ? S’en suit un long silence surpris et une réponse embarrassée qui a le mérite de ne pas me laisser d’espoir. Son appartement parisien est beaucoup trop petit, ils sont déjà entassés là-dedans, avec sa femme et ses jumeaux, au-delà du raisonnable. Et puis je ne supporterais pas le bruit, à cet âge-là, les enfants s’agitent beaucoup : surtout deux garçons, tu imagines ! Ce ne serait pas du tout l’idéal pour une jeune fille studieuse et calme comme moi, je n’y survivrais pas ! Sans compter que changer de collège en cours d’année… Et puis franchement, je ne me plairais pas, à Paris, habituée comme je suis à la campagne ! Et Lise, sa femme, travaille beaucoup : les choses sont déjà assez compliquées comme ça avec les deux petits à gérer…
Les rires gênés qui ponctuent ses arguments en disent plus long qu’il ne pense sur le vrai problème : sa nouvelle femme n’a aucune envie de s’embarrasser d’une belle-fille adolescente qu’elle n’apprécie guère. Et mon père a toujours préféré la fuite aux conflits.
Je pourrais lui raconter toute la vérité, lui expliquer que je suis au bout du rouleau. Que ma vie à la maison est sordide. Que non, l’internat de mon collège de rêve ne me change pas agréablement les idées durant la semaine. Que je donnerais n’importe quoi pour échapper à ma solitude, mes idées noires, mon absence d’espoir… Mais l’idée de devoir parler de tout ce qui ne va pas, le convaincre que ce n’est pas juste moi qui vois le verre à moitié vide est tout simplement au-dessus de mes forces. Et faire culpabiliser Lise ne la fera pas m’aimer davantage.
Je soupire et jette l’éponge :
- « Oui papa, bien-sûr, tu as raison, ça va aller… L’année prochaine, au lycée, je serai interne aussi et après je pourrai venir faire mes études à Paris. Comme ça je garderai les jumeaux quand vous voudrez sortir, Lise et toi. »
- « Oui, super, ils seront ravis d’avoir leur grande sœur pour eux tous seuls ! Ils attendent déjà avec impatience la semaine de camping avec toi cet été. Ils sont super excités ! En attendant garde le moral et continue de bien travailler pour préparer ton avenir. C’est le secret de la réussite, tu sais ! »
- « Ok, papa, compte sur moi. A bientôt, bisous ! »
Et bien la voilà, la solution à tous mes problèmes : je vais bien travailler à l’école et attendre sagement quatre longues années de sortir de l’enfer…
Je frissonne et serre mon gilet contre moi, au bord des larmes. C’est la fatigue, sûrement. Sûrement la fatigue...

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