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Métamorphoses - Chapitre 13 : Rose

vendredi 17 avril 2020, par Sylvie Pichon

Ma conversation avec Sam me laisse mal à l’aise. C’est vrai que j’aurais pu faire un petit effort pour être sympa avec Mya, à qui je n’ai rien à reprocher et qui est persécutée par les jumelles et leurs amis depuis le premier jour. Soyons honnête, j’ai fait celle que cela ne concerne pas. Sauf qu’à force de ne pas se mêler de la vie des autres, on devient complice du mal qui leur est fait.

Mes trois amis sont assez remontés contre Sam et elle, même si j’ai tenté de les persuader qu’ils ne diraient rien. Ils savent trop bien ce que c’est d’être mis à l’écart pour nous dénoncer à la malveillance des autres.

Je ne pourrai sans doute pas faire grand-chose pour Mya, mais il faut que je surmonte ma timidité naturelle pour aller lui parler, tenter au moins de la réconforter et me rapprocher d’elle. Après tout, elle est probablement l’une des filles du collège avec qui j’ai le plus d’affinités, du moins j’en ai l’impression. Elle est calme, studieuse, elle lit beaucoup et je devine en elle une grande sensibilité. En plus, elle est plutôt mignonne, dans son genre.

Je la cherche un moment dans la salle commune et je finis par l’apercevoir qui monte à l’étage. J’hésite un peu car elle a l’air super pressée et pas d’humeur à discuter. Je crois même avoir aperçu des larmes briller sur ses joues. Oh, et puis tant pis ! Si je ne me décide pas maintenant, je ne le ferai jamais. Au pire, si elle ne veut pas me parler, elle m’enverra promener, ce n’est pas si grave.
Je monte à sa suite mais elle ne s’arrête pas à notre étage et poursuit vers le 3e où il n’y a rien : ça fait longtemps qu’il est inutilisé. Où peut-elle bien aller ? A ma grande surprise, elle poursuit sa montée. Cela conduit au toit mais la porte d’accès est fermée à clé… Je la suis encore et découvre un trousseau de clés suspendu à la serrure. D’après l’odeur, c’est celui de Jordan, le surveillant « beau gosse ». Elle a dû le lui subtiliser.

J’ouvre la porte sans bruit et cherche Mya du regard. Je l’aperçois à l’extrémité du toit en terrasse, perchée sur le petit muret, tout au bord. Elle regarde vers le bas, comme hypnotisée et son intention me semble claire : elle s’apprête à sauter. De peur de la surprendre, je m’adresse à elle en chuchotant ; comme à un petit animal que je ne voudrais pas effrayer.
-  « Mya, éloigne-toi de là, s’il-te-plaît… Je voudrais te parler… M’excuser… Je… Je savais que les autres étaient odieuses avec toi et je n’ai rien fait pour t’aider… »
Je vois ses épaules se crisper et je sens qu’elle m’écoute. J’en profite pour me rapprocher tout doucement, en m’efforçant de ne pas faire crisser le gravier sous mes chaussures. Je l’appelle à nouveau, très doucement. Il ne faut pas que je laisse se rompre le mince lien que je viens d’établir avec elle et qui la retiens de notre côté.
-  « Mya…, je t’en prie… descends… viens vers moi… »
Elle tourne vers moi ses grands yeux bleus. Le chagrin sur son visage me bouleverse. J’ai le sentiment de la voir vraiment pour la première fois et je découvre qu’elle n’est pas seulement « mignonne ». Elle est belle. Avec son visage en cœur, encadré par les douces mèches courtes de ses cheveux blond vénitien, sa peau très claire, ses sourcils comme deux parenthèses s’ouvrant sur la profondeur azure de son regard, son petit nez droit, ses lèvres parfaitement dessinées… Tellement plus belle que Jade et Maud, ces deux poupées méprisantes qui l’on rejetée au premier coup d’œil parce qu’elle n’était visiblement pas assez riche, pas assez bien habillée ! Les larmes coulent sur son visage et je ne sais pas quoi lui dire pour la retenir, la ramener parmi les vivants, ceux qui ont encore des réserves d’espoir…
Peut-être lit-elle mon impuissance dans mes yeux parce qu’elle détourne lentement la tête, lève les bras en croix et fait un pas dans le vide comme pour s’envoler. Le loup en moi a vu ses muscles se tendre juste avant et j’ai bondi, par réflexe, plongé en avant sans réfléchir et attrapé son poignet. Le choc de son bras et du mien qui se tendent brusquement sous son poids me coupe le souffle m’écrasant violemment le plexus contre l’angle du parapet. Mais tout ce que j’entends c’est le bruit sourd de son corps et de sa tête qui heurtent le mur derrière elle. J’ai l’atroce impression que son épaule et la mienne vont se déboîter. Mais non, de part et d’autre, malgré la tension extrême, ça tient.
Mya lève la tête et me jette un regard rempli de surprise. Je sais qu’elle n’aurait jamais cru que je serais là à temps.
-  « Je ne te laisserai pas partir, Mya… Je chuchote à nouveau et cette fois c’est un secret que je lui murmure. Pas avant d’avoir eu le temps de te connaître… »
Je rassemble mes jambes sous moi et redresse brusquement le buste en la tirant fortement vers le haut, puis je lâche son poignet et la rattrape à la volée sous les aisselles avant de la remonter sur le toit où je la serre contre moi en la berçant.
-  « Tu vas voir, ça va aller… Je vais t’aider… A partir de maintenant tu n’es plus seule, on trouvera une solution… Toutes les deux… »
Dans mes bras elle se relâche brusquement, comme une poupée de chiffon, secouée de temps en temps par un sanglot. Je caresse ses cheveux et chantonne une mélopée apaisante, une sorte de berceuse improvisée. Demain, elle aura mal à l’épaule et des bleus un peu partout, mais je serai là pour elle. Elle ne sera plus seule pour affronter sa vie, j’en fais le serment en l’étreignant un peu plus fort. Lorsque je renifle pour ravaler mes larmes, je l’entends rire au milieu de ses sanglots.
-  « Oh, Rose ! » hoquète-t-elle, faussement choquée. Ses bras m’enserrent à m’étouffer.
-  « Ma Rose… »
Et je ris légèrement à mon tour, soulagée, en déposant un baiser sur son front moite.

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